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Retour aux origines : le témoignage d’Annie Benkovik, testatrice

Adolescente, la grand-mère d’Annie Benkovik lui révèle un secret de famille : elle est juive. Sans comprendre tout le sens de cette annonce, Annie continue sa vie comme si de rien n’était, loin de se douter que plusieurs décennies plus tard, son Histoire allait la rattraper. Le 7 janvier 2021, Annie est « montée à la Torah » et elle vient de léguer ses biens au FSJU. 

Annie Benkovik est née à Mazingarbe en 1959, une petite ville minière du Nord-Pas-de-Calais, dotée d’une usine de pétrochimie, loin du judaïsme. Mais un jour, sa grand-mère la choisit pour lui confier le secret de ses origines juives. Annie écoute mais ne sait pas vraiment ce que cela recouvre. « A l’époque, je pensais que si l’on sortait du judaïsme, c’était définitif, que l’on ne pouvait plus y revenir. J’ai donc rangé cela dans un coin de ma tête. Mais, bien sûr, on n’oublie pas… ». Annie mène ensuite sa vie « d’aventurière », voyage beaucoup, en Inde, en Amérique du Sud, en Afrique : « je voulais voir le monde, découvrir comment les gens agissaient ailleurs, pensaient ailleurs ». A 30 ans, au gré de moult conjonctures, elle rencontre un homme, juif, « et tout est revenu à la surface », notamment ses interrogations et ses doutes quant à son existence et son manque d’une certaine « dimension », peut-être sur sa « superficialité » confie-t-elle. « C’est à partir de là que les choses ont commencé à changer, mais ce fut un long chemin… », poursuit-elle avec un sourire lumineux. Son histoire d’amour tourne court mais plus tard, Annie se marie avec un autre, qui porte un nom juif : Benkovic. « Je ne savais pas du tout que ce nom était juif ! Nous n’en avons jamais parlé. Je ne l’ai compris qu’après mon divorce… » Annie navigue encore entre la France et l’Angleterre, chérit sa liberté et ses passions artistiques grâce auxquelles elle essaie de fonder sa vie de célibataire rieuse, notamment la photographie.

En 2018, elle croise le chemin de Suzanne qui lui demande de couvrir son mariage, juif. Annie ne pratique pas et ne se sent pas légitime pour le rôle, mais Suzanne la rassure : « Ne t’inquiète pas, le rabbin est libéral ! ». « Je l’ai regardée médusée, je pensais qu’une seule façon d’être juif existait, et plutôt très carrée, orthodoxe », se souvient Annie. Suzanne réussit à la convaincre d’accepter et c’est à l’occasion de ce reportage qu’elle rencontre le rabbin Haddad qui la (ra)mènera rapidement jusqu’à la Torah. Annie se dit convertie mais n’était-ce pas finalement qu’une séance de rattrapage ? « Il est vrai que pendant des années auparavant, j’avais beaucoup lu sur le judaïsme, je m’étais renseignée. J’ai compris que j’avais vécu comme une sorte de très longue Téchouva de 30 ans. Je voulais sérieusement comprendre où j’avais foiré ! » Elle rit, et sort de son sac un joli, et précieux, manuscrit du 19ème siècle, attestant de la recherche de Marie-Odile Meyer, née à Paris en 1879, de sa mère, Odile, l’arrière-arrière-grand-mère d’Annie. « C’est beau comme document ! À la mairie, je leur ai fait sortir les vieux grimoires des armoires ! ». Quid de sa mère ? « Elle n’a pas cherché à savoir. Je ne sais même pas si elle connait ce secret. Je pense que cela a sauté une génération. Nous n’en avons jamais parlé. Et nous avons aussi coupé les ponts ». Nous parcourons ensemble les jolies écritures anciennes de l’acte de mariage : « Ça remue des choses, ça remue le passé…Dans ma petite tête de gamine, je pensais que l’antisémitisme était mort avec la Seconde Guerre mondiale… Que les gens avaient eu tellement honte, qu’ils s’étaient dit « plus jamais ça », et qu’ils s’y tiendraient. »

Annie a rendez-vous chez le notaire juste à la suite de notre café. Elle a choisi de léguer sa maison à la communauté via le FSJU. Un geste magnifique, pensé dès sa première montée à la Torah et un moment très particulier : « C’est la première fois que je vais parler concrètement de mon décès. Cela fait bizarre tout de même. Sa propre mort, c’est toujours un peu nébuleux dans l’absolu. Mais je n’ai ni frère, ni sœur, ni enfant et convertie depuis peu, je voulais trouver l’endroit où déposer mes biens, et où je sais qu’ils seront pris en considération. J’ai tout fait en même temps, je n’ai plus le temps d’attendre maintenant ! » En a-t-elle parlé autour d’elle à Arras, où elle réside maintenant ? « Un tout petit peu. Certains comprennent. Pour d’autres, c’est plus compliqué. On m’a même dit : « Une femme libre comme toi ? Pourquoi se mettre à la religion ? ». Difficile de tout expliquer… et de comprendre tout ce parcours…Mais, moi, j’ai plutôt l’impression d’avoir trouvé une vraie liberté, une sérénité, une liberté intérieure que je n’avais pas avant ». 

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